Le Parti vert du Canada face à son avenir
FRANCOPRESSE – Le Parti vert du Canada est à la croisée des chemins. Après un rendez-vous manqué lors de la dernière élection fédérale, la formation recrute pour la première fois en 14 ans une nouvelle direction. Une occasion de se réinventer et se réaligner dans un univers politique de plus en plus complexe.
Plusieurs ont dit, en 2019, que la campagne électorale d’Elizabeth May en tant que cheffe du Parti vert du Canada était celle de trop. Alors que tous les espoirs étaient permis pour cette petite formation, que le parti avait fait des gains intéressants dans certaines provinces et que des observateurs prédisaient qu’il pourrait coiffer les néodémocrates sur le poteau, les verts n’ont pu faire mieux qu’élire trois députés.
Prix de consolation : l’un des trois élus était au Nouveau-Brunswick, une première percée du Parti vert à l’extérieur de la Colombie-Britannique.
La politologue de l’Université d’Ottawa Geneviève Tellier est sans équivoque : l’échec est attribuable à Elizabeth May. «C’est elle qui a mené une mauvaise campagne. On ne la sentait pas présente. On ne sentait pas qu’elle parlait aux jeunes. Il n’y avait pas eu de renouveau de la plateforme électorale ; c’était essentiellement la même que les élections passées. Avant même le début de la campagne, elle a annoncé qu’elle partait. Quand vous savez que vous allez partir et que vous faites une campagne électorale, parfois, le cœur n’y est plus.»
Deux semaines après les élections fédérales, le 4 novembre 2019, Elizabeth May annonçait qu’elle quittait la direction du parti ; elle demeure cependant députée et elle compte à nouveau se porter candidate aux prochaines élections.
Une course virtuelle
Certains étaient déjà sur le bloc de départ. Le lendemain, David Merner, un ancien libéral de la Colombie-Britannique devenu candidat vert en 2019, annonçait qu’il briguerait la succession d’Elizabeth May. Depuis, plusieurs autres sont entrés dans la course, certains se sont retirés. Dix candidats se font maintenant face pour le vote qui aura lieu en ligne fin septembre, début octobre.
La campagne, lancée l’hiver dernier, a été suspendue en mars en raison de la pandémie de COVID-19. Elle n’a repris que le 15 juin dernier.
Selon la cheffe par intérim des verts, Jo-Ann Roberts, faire une campagne dans ce contexte est tout un défi. «Nous découvrons la course au leadeurship numérique, dit-elle. La plus grande adaptation est de ne pas pouvoir rencontrer les gens face à face.» Pas de discours non plus pour convaincre les masses, de bains de foule, de traditionnelles photos avec un enfant dans les bras, etc.
Et pour les candidats moins connus des membres du parti et du public, le défi est encore plus grand. L’un des meilleurs moyens pour faire connaitre tous les candidats demeure donc les débats.
Un premier, en anglais, a d’ailleurs eu lieu le 23 juin. En raison du grand nombre de candidats, ce débat a été divisé en deux avec cinq aspirants à la direction dans chacun. D’autres débats auront lieu d’ici la fin de la course, dont un premier en français en début juillet.
Les aspirants, en ordre alphabétique du nom de famille :
Judy Green : Résidente de la Nouvelle-Écosse, originaire de la Colombie-Britannique, a fait carrière entre autres au sein des Forces armées canadiennes comme technicienne aéronautique.
Meryam Haddad : Avocate de Montréal, née en Syrie, immigrée en 1993. Spécialisée en droit de l’immigration, défenderesse de la communauté LGBTQ+ dont elle est membre.
Courtney Howard : Urgentologue à Yellowknife (Territoires-du-Nord-Ouest) et professeure à la faculté de médecine de l’Université de Calgary.
Amita Kuttner : Titulaire d’un doctorat en astronomie et astrophysique, poursuit des recherches sur les trous noirs. A été porte-parole du Parti vert pour la science et l’innovation.
Dimitri Lascaris : Avocat à Montréal, né en Ontario, correspondant pour The Real News Network, candidat en Ontario lors des dernières élections fédérales.
David Merner : Avocat, président du Parti libéral de la Colombie-Britannique (2012-2013) et candidat libéral dans cette province aux élections fédérales en 2015. Candidat vert en 2019.
Glen Murray : Ancien maire de Winnipeg et ancien ministre libéral en Ontario dans les gouvernements de Kathleen Wynne et Dalton McGuinty.
Annamie Paul : Avocate de Toronto, porte-parole du Parti vert pour les affaires internationales. Elle a une vaste expérience dans le domaine, notamment à la Cour pénale internationale. Elle parle quatre langues.
Dylan Perceval-Maxwell : Militant et homme d’affaires de Montréal. Candidat fédéral vert à six reprises. Il a lancé plusieurs entreprises environnementales.
Andrew West : Avocat et porte-parole du Parti vert de l’Ontario pour le procureur général. Candidat du parti au fédéral et plusieurs fois en Ontario.
Diversité d’origine, de géographie et de points de vue
La cheffe par intérim du parti, Jo-Ann Roberts, se dit heureuse de la diversité du groupe. «Nous avons quelques candidats qui se définissent comme étant socialistes. Un autre qui se dit davantage du centre ou plus du côté du conservatisme fiscal. Nous avons une parité des genres (cinq femmes, cinq hommes) et des candidats d’un océan à l’autre.»
Elle affirme que tous les candidats sauf une, Courtney Howard, sont «très» bilingues ou ont une bonne connaissance du français.
Comme bien d’autres formations auparavant, le Parti vert fait face à un dilemme : se rapprocher du centre pour élargir son électorat ou rester campé dans sa position traditionnelle et espérer pouvoir jouer un rôle important dans un éventuel gouvernement minoritaire, dans lequel le parti compterait davantage que trois députés.
«Est-ce que le Parti vert veut grossir? Grossir en termes de membres, d’électeurs, de députés à Ottawa? Si oui, ce n’est pas compliqué : il faut qu’il se recentre», assure Geneviève Tellier.
«Il pourrait aussi opter pour rester la conscience environnementale des Canadiens, mais ne pas aspirer au pouvoir. Le problème, par contre, c’est que d’autres partis pourraient décider de prendre le centre que le Parti vert ne veut pas prendre, comme le Bloc l’a fait par exemple, comme les néodémocrates pourraient le faire. Les néodémocrates pourraient dire : c’est nous le Parti vert, mais on concilie droits des travailleurs avec l’environnement.»
Geneviève Tellier croit que le contexte politique et économique pourrait favoriser une formation comme le Parti vert, parce qu’en temps de crise comme celle que l’on vit présentement, les électeurs aiment moins entendre parler d’austérité et sont même prêts à payer un peu plus d’impôts si c’est pour offrir plus de services et éviter une autre crise.
«Donc les verts pourraient très certainement tirer avantage de cette situation-là s’ils se positionnent bien et s’expliquent bien. Je pense que c’est un moment très favorable pour tous les partis de gauche. C’est un moment très difficile pour les partis de droite, parce que, justement, qu’est-ce que ça veut dire un parti de droite en temps de crise? Comment on fait pour aider les gens? Est-ce qu’il faut parler d’équilibre budgétaire tout de suite? Ça va être très difficile à présenter pour eux. Donc je pense que les prochaines années vont vraiment aider les partis qui sont plus à gauche.»
La prochaine élection sera-t-elle celle où l’on assistera à une percée des verts? C’est ce que plusieurs croyaient en 2019. On verra jusqu’où la successeure ou le successeur d’Élizabeth May pourra mener cette formation politique.
«Les gens voient comment les verts peuvent faire une différence au niveau provincial», indique la cheffe intérimaire Jo-Ann Roberts. Nous devons démontrer comment nous pouvons le faire sur la scène fédérale.»
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