L’annexion du Canada par les États-Unis, une histoire qui ne date pas d’hier
Depuis le retour de Donald Trump, l’éventuelle annexion du Canada par les États-Unis défraie la chronique, suscitant incrédulité et frayeur dans la population. Pourtant, ce n’est pas la première fois que les Canadiens font face à une telle revendication.
Même avant la signature des traités, les Anglais s’inquiétaient que l’Ouest soit annexé par les États-Unis.
Dans un article d’opinion publié par l’Eau vive en 1980, Gustave Dubois critique à son tour les commentaires d’un politicien saskatchewanais, Dick Collver, qui suggérait que l’Ouest du Canada pourrait se rallier aux États-Unis. La conséquence : le politicien conservateur a démissionné de son poste après une chute de popularité.
Entre les années 1980 et aujourd’hui, il est intéressant de noter les appels à l’action de certains partis politiques en Alberta qui exhortent à la séparation de l’Ouest, ainsi que ceux du président américain.
Dans les deux cas, les raisonnements sont comparables. Dick Collver et Donald Trump soulignent les similarités entre les structures politiques des deux pays ou régions, entre les ressources économiques et entre les populations.
« Que l’Ouest dépende d’Ottawa ou qu’il dépende de Washington, fondamentalement la relation de dépendance demeure la même. » Dick Collver
« Si vous regardez une carte, vous verrez qu’ils ont dessiné une ligne artificielle entre le Canada et les États-Unis. Une ligne droite et artificielle. » Donald Trump
Ces deux citations relèvent d’attitudes semblables. Dans cette logique, le Canada ne serait pas singulier et les Canadiens seraient l’équivalent des Américains.
Est-il ainsi surprenant de trouver au Canada des personnes qui s’agacent de tels commentaires ? Nombre de Canadiens refusent d’être mélangés avec leur voisin du sud. Le sentiment de fierté nationale importe.
Par conséquent, on voit de plus en plus de Canadiens placer le drapeau à la feuille d’érable sur leur valise lorsqu’ils voyagent pour se distinguer des Américains, pour crier au monde : « Nous ne sommes pas américains ! »
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Texte de Gutave Dubois publié dans l'Eau vive du 19 mars 1980
L'annexion de l'Ouest aux États-Unis
Par Gustave Dubois
Dans un geste un peu dramatique, M. Collver(1) annonçait récemment sa démission du Parti conservateur et son intention de promouvoir l'idée de l'annexion de l'Ouest canadien aux États-Unis. Ce sont les résultats des dernières élections fédérales qui, dit-il, l'ont poussé à s'orienter dans cette direction. Plusieurs personnes, entre autres, M. Blakeney(2), ont qualifié d'inacceptable cette idée prônée par M. Collver.
L'idée de l'annexion de l'Ouest aux États-Unis n'est certes pas nouvelle. Mais ce qui est original c'est qu'elle provienne d'un personnage de la stature de M. Collver qui jusqu'à récemment était chef du Parti conservateur et chef de l'opposition en Saskatchewan. C'est pourquoi il vaut la peine de s'y arrêter pour un moment.
D'abord, il est étonnant d'entendre M. Collver proposer que l'on passe du pareil au même. Il n'y a rien d'original ou même de différent à substituer une autorité centrale pour une autre autorité centrale. Que l'Ouest dépende d'Ottawa ou qu'il dépende de Washington, fondamentalement la relation qui est de dépendance demeure la même. Si l'Ouest se considère comme ayant été exploité par l'est du pays, il ne faut pas croire qu'il le sera moins par Washington. Nous ne sommes pas sans connaitre l'appétit vorace des Américains pour l'énergie et le peu de scrupule que souvent ils appliquent à obtenir ce qu'ils veulent.
Si M. Collver avait suggéré que l'Ouest canadien se déclare comme état souverain, il aurait peut-être été plus facile de croire que ce sont vraiment nos intérêts qu'il recherche. Nous savons tous que M. Collver possède un ranch en Arizona où il semble passer plus de temps qu'il n'en passe dans sa circonscription de Nipawin. Peut-être M. Collver a-t-il offert ses services aux Américains, espérant en retirer des profits personnels. Sa suggestion toute récente que ce serait le bilinguisme qui serait responsable des difficultés qu'éprouve le Canada en matière d'économie démontre sans aucun doute le genre de bois dont se chauffe l'ancien chef conservateur.
La proposition de M. Collver démontre la nécessité d'une autre chose dont les Fransaskois parlent depuis longtemps. C'est-à-dire la nécessité de développer un sens d'identité. Si M. Collver avait la fierté d'être Canadien, il ne lancerait pas ainsi l'idée d'annexion aux États-Unis. Sa proposition peut faire penser étrangement à la proposition de certains Fransaskois qui trouvent plus important de parler anglais que de parler leur propre langue, de gober la culture nord-américaine que de conserver et de développer la leur. Tout comme pour certains Fransaskois, il est plus important d'être canadien-anglais que d'être canadien-français, pour M. Collver il est plus important d'être nord-américain que d'être canadien. Si on ne peut pas penser être canadien-français parce que l'on vit dans l'Ouest il est peut-être logique d'appuyer M. Collver et de penser qu'il est impossible d'être canadien parce qu'on vit dans l'Amérique du Nord.
C'est ce manque de confiance en ses propres racines, ce manque de connaissance de son histoire qui fait qu'on n'a pas de sens d'identité. Ce manque de sens d'identité malheureusement nous pousse à chercher à nous joindre à ce qui est perçu comme étant le groupe dominant majoritaire ou encore ceux qui sont les plus puissants. À vendre ainsi son âme, on risque de ne jamais atteindre la maturité. Ça semble bien être le problème de M. Collver. Il est à espérer que ça ne devienne pas celui des Fransaskois.
- Dick Collver a dirigé le Parti conservateur de la Saskatchewan de 1973 à 1978.
- Allan Blakeney a été premier ministre de la Saskatchewan de 1971 à 1982 dans un gouvernement néo-démocrate.
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