Le vote fransaskois : portrait pluriel d’une minorité
À la veille des élections fédérales, une question revient régulièrement : les francophones en milieu minoritaire votent-ils d’une seule voix ? Existe-t-il un vote fransaskois ? Derrière l’unité culturelle et linguistique, la diversité politique domine, reflétant les clivages plus larges qui traversent la province.
À l’échelle de la Saskatchewan, les francophones représentent une minorité soudée autour de la langue et de la culture, mais loin d’être politiquement homogène.
Selon le recensement 2021 de Statistique Canada, 52 415 personnes (soit 4,7 % de la population) peuvent soutenir une conversation en français, et 12 243 déclarent le français comme langue maternelle.
Si les francophones partagent un patrimoine culturel, linguistique et associatif fort, leurs choix politiques reflètent la pluralité des parcours et des réalités vécues.
La communauté fransaskoise est marquée par des clivages classiques, comme la ville face à la ruralité, les classes sociales diverses, mais aussi par des enjeux plus contemporains comme la diversité ethnoculturelle, l’immigration ou l’environnement.
Autant de thématiques qui traversent aussi bien la société majoritaire que la minorité francophone.
« C’est sûr que les Fransaskois ne votent pas tous de la même manière », confirme Marc Masson, ancien analyste politique à l’Assemblée communautaire fransaskoise (ACF).
« Ils votent selon leurs valeurs et les enjeux de leur circonscription. Parfois pour le chef du parti, parfois pour un candidat », ajoute l’observateur.
Marc Masson se souvient du cas de Ralph Goodale, ancien député libéral d’une circonscription de Regina, très présent dans la communauté.
« Il venait à nos rencontres, participait aux activités… Il s’est bâti une crédibilité. Je pense que beaucoup de francophones l’ont soutenu par reconnaissance de son engagement. »
Un passé progressiste, un présent conservateur
À observer les résultats des dernières élections, la Saskatchewan semble être un bastion conservateur. Pourtant, cela n’a pas toujours été le cas.
Pendant plusieurs décennies, la province fut le cœur du progressisme canadien. C’est dans cette province, sous l’impulsion de Tommy Douglas, que le Nouveau Parti démocratique (NPD) a mis en place le premier système de santé publique universel du Canada.
Le parti s’appuyait alors sur une coalition solide : les syndicats, les coopératives agricoles et une base rurale instruite et mobilisée. Ce courant politique incluait aussi une frange importante de francophones ruraux engagés.
Mais les années 1990 marquent un tournant. Le soutien au NPD s’effrite dans les campagnes et la fusion des conservateurs réformistes et progressistes-conservateurs renforce l’option à droite.
L’économie se tourne vers l’exploitation des ressources naturelles : pétrole, gaz, agriculture industrielle, extraction minière. Un tournant qui alimente un sentiment croissant d’injustice face aux politiques environnementales et fiscales imposées depuis Ottawa.
La méfiance vis-à-vis du gouvernement central s’accentue et, avec elle, un glissement de l’électorat vers la droite.
« Malgré un exode rural soutenu vers Saskatoon et Regina, ces villes restent petites comparées à Winnipeg ou Calgary, où les libéraux ou le NDP grignotent quelques représentants », rappelle Stephen Kenny, ancien professeur d’histoire à l’Université de Regina.
« Et leur économie est extrêmement liée à l’agriculture et à la production de matières premières. Cela sert les intérêts des conservateurs. »
Depuis, les conservateurs fédéraux remportent la quasi-totalité des circonscriptions saskatchewanaises à chaque scrutin. À l’échelle provinciale, le Saskatchewan Party (centre droit) domine la scène depuis 2007.
Une voix collective… mais pas un vote collectif
Dans ce contexte, la minorité francophone ne constitue pas un bloc électoral. Si certains enjeux linguistiques ou éducatifs peuvent influencer les intentions de vote, ils ne suffisent pas à générer un vote homogène.
« Contrairement à Saint-Boniface au Manitoba ou Sudbury en Ontario, la Saskatchewan ne compte pas une forte population francophone concentrée dans une seule circonscription », explique Stephen Kenny.
« Les Fransaskois sont dispersés sur l’ensemble du territoire, ce qui rend leur poids électoral limité », ponctue l’historien.
Cela ne signifie pas pour autant une absence d’action politique. « Les campagnes électorales sont le moment idéal pour interpeller les candidats sur le soutien aux langues officielles en situation minoritaire, les budgets des services en français, l’avenir de Radio-Canada, les quotas d’immigration francophone », rappelle Marc Masson.
« Même si nos votes sont dispersés, nous avons des revendications communes que nous devons porter », avance-t-il.
L’Assemblée communautaire fransaskoise (ACF) joue un rôle important dans ces revendications, notamment en menant un travail de plaidoyer auprès des élus et représentants afin de défendre les intérêts de la communauté francophone.
Historiquement, la mobilisation politique fransaskoise s’est concentrée sur des enjeux précis : écoles, médias communautaires, institutions culturelles. Mais, en définitive, ces luttes ne se traduisent pas par un comportement électoral uniforme.
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