Entre les agriculteurs et le climat, une relation compliquée
L’agriculture représente 10 % des émissions de gaz à effet de serre au Canada. Bien qu’il existe des solutions et des programmes d’aide pour réduire les rejets polluants, les agriculteurs ne font pas du changement de leurs pratiques une priorité.
« Je réfléchis toujours à comment réduire mes émissions polluantes et à préserver la santé de mes sols », avance Alexis Légère, propriétaire d’une ferme au Nouveau-Brunswick.
Sur son lopin de terre, l’ancien militant écologiste ne met ni engrais de synthèse ni pesticides dérivés du pétrole. Il privilégie du compost « organique et local » et n’utilise aucune machinerie à essence.
Le maraîcher Alexis Légère, au Nouveau-Brunswick
Crédit : Courtoisie
« J’ai réalisé que l’agriculture était l’un des secteurs les plus polluants de la planète et j’ai pris des actions concrètes pour changer les choses et faire le plus durablement possible », partage le trentenaire, qui dit parvenir à dégager 60 000 dollars de revenus par an.
Modifier les pratiques
Selon le gouvernement, l’agriculture est responsable de 10 % des émissions de gaz à effet de serre (GES) au Canada.
Selon David Burton, directeur du Centre pour la gestion durable des sols de l’Université Dalhousie, en Nouvelle-Écosse, les rejets d’oxyde nitreux sont en augmentation, attribuables à l’utilisation d’engrais azotés pour fertiliser le canola dans les Prairies et le maïs en Ontario et au Québec.
Sous-produit de la digestion des animaux, le méthane est, lui, libéré dans l’air par les flatulences et les rots des ruminants et le stockage à long terme du fumier.
L’Alberta est la province qui arrive en tête des émissions de ce gaz au pouvoir réchauffant bien plus élevé que le CO2, puisqu’elle est l’une des plus grandes régions d’élevage de bétail au pays.
Pourtant, le Canada s’est fixé comme objectif de réduire de 30 % ses rejets d’oxyde nitreux et de méthane d’ici 2030, par rapport aux niveaux de 2020.
« C’est tout à fait faisable, mais pour y parvenir, nous devrons modifier un grand nombre de nos pratiques agricoles, nous concentrer sur l’efficacité de la production plutôt que sur son ampleur », explique David Burton.
Des solutions existent
Il existe de nombreuses pistes prometteuses pour la décarbonation du secteur. Le chercheur Roland Kroebel, d’Agriculture et Agroalimentaire Canada, évoque le semis direct plutôt que le labour conventionnel, l’utilisation plus efficace des engrais azotés selon la règle de la bonne source, la bonne dose, au bon moment et au bon endroit.
« Mais je ne pense pas que l’agriculture telle qu’elle est pratiquée aujourd’hui puisse se passer d’engrais », modère ce dernier.
Un avis que partage le vice-président de l’Union des cultivateurs franco-ontariens, Michel Dignard.
« Grâce à l’amélioration des machineries et aux nouvelles technologies GPS plus précises, on a réduit la quantité d’engrais et d’herbicides qu’on utilise, mais c’est impossible de tout enlever. »
De son côté, Stéphane Godbout, professeur à l’Université Laval, à Québec, conseille de modifier le régime alimentaire du bétail : remplacer l’ensilage de maïs ou le soja dans l’alimentation des vaches par des grains de lin cuit, riches en oméga 3, de la luzerne ou encore du foin, permettrait de réduire leurs émissions de méthane et d’augmenter leur production de lait.
Plusieurs programmes, à l’image du Fonds fédéral d’action à la ferme pour le climat, aident financièrement les exploitants à mettre en œuvre ces meilleures pratiques.
Malgré tout, la réduction des émissions de GES n’est pas la première des priorités pour les fermiers. « Ils s’inquiètent davantage de la sécheresse dans les Prairies, ou de leur situation financière », note David Burton.
« Nous n’avons pas réussi à leur faire comprendre qu’en diminuant leurs émissions, ils maintiendront leurs rendements, augmenteront leur rentabilité et deviendront moins sensibles aux aléas climatiques », regrette-t-il.
Le jeune fermier Alexis Légère note toutefois que réduire les rejets polluants est important pour la nouvelle génération d’agriculteurs.
« La vieille génération y pense aussi, mais c’est moins accessible. La transition leur coûterait trop cher. Ils seraient obligés de s’endetter, surtout s’ils produisent sur de grandes surfaces », ajoute le maraîcher.
Entre problème et solution
Le secteur agricole n’est pas seulement un secteur émetteur, il est aussi l’une des solutions pour stocker massivement du carbone et lutter contre le changement climatique.
« En nourrissant les sols avec de la matière organique, le carbone se retrouve dans le sol plutôt que dans l’atmosphère, explique David Burton. Mais cela suppose que l’on perturbe la terre le moins possible. »
Loin des standards de l’agriculture conventionnelle, Alexis Légère prône des cultures sans labour, « qui augmentent la matière organique souterraine, reconstruisent la vie des sols et réduisent l’érosion ».
En Ontario, Michel Dignard assure que beaucoup de paysans travaillent désormais leur sol à minima et recourent « aux plantes de couverture durant l’automne pour capturer le carbone ».
À la fois source et puits de carbone, l’agriculture canadienne est déjà victime des changements climatiques. Et les pratiques des professionnels devront s’adapter pour assurer la pérennité du secteur.
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