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Article de l'Eau vive

Jeffrey Klassen

Le lexique, un reflet des modes de vie

Jeffrey Klassen
Jeffrey Klassen est linguiste et travaille à l’Université de Saskatchewan en tant qu’attaché temporaire. Il donne des cours de grammaire, de sociolinguistique et d’acquisition. Il a obtenu son doctorat à l’Université McGill en 2016 où il a mené de la recherche sur la production et la compréhension de la proéminence acoustique en anglais et en espagnol. Il s’intéresse aux recherches sur la variation linguistique, surtout en ce qui concerne la production et la compréhension des traits phonétiques dans plusieurs langues.

Le lexique fransaskois, que l’historien et dramaturge Laurier Gareau a nommé « Parlure fransaskoise », est marqué par une forte influence québécoise ainsi que par des emprunts à l’anglais. La langue évoluant avec les modes de vie, l’exode rural subi par les communautés francophones de la province au cours du 20e siècle a fait évoluer ce patrimoine linguistique.

Une étude menée en 1991 par un chercheur de l’Université de la Saskatchewan, Terry Cox, a offert un constat intéressant par rapport à cette Parlure fransaskoise. Le linguiste a interviewé quarante-cinq Fransaskois afin de vérifier s’ils reconnaîtraient un ensemble de mots régionaux et, si c’était le cas, s’ils les utilisaient dans leur vie quotidienne. 

Il s’agissait de mots comme bizaine (« chien de prairie »), boghei (« calèche », de l’anglais buggy) ou encore bluff (un terme désignant un groupe d’arbres au milieu des prairies).

En comparant les réponses entre différents groupes d’âge, Cox a découvert que le groupe avec la plus grande connaissance de ces mots fransaskois était celui des plus de 45 ans. En moyenne, ce groupe avait reconnu 67 % des mots sur la liste, alors que le groupe des moins de 25 ans en avait seulement reconnu 47 %. Ce même résultat est apparu quant à l’utilisation des mots, ce qui veut dire que le groupe le plus âgé utilisait un plus grand nombre de mots dits « fransaskois » par rapport aux plus jeunes.

Que nous apprennent ces résultats ? Il suffit de relever le caractère rural du lexique pour constater qu’une évolution linguistique était en cours à l’époque de l’étude. Ce changement se caractérisait par une perte progressive de certaines expressions liées à la vie agricole et à une époque révolue. 

Prenons par exemple le mot tortue qui désignait un poêle de cuisine qui prenait comme combustible du bois, du charbon ou même des bouses de vaches séchées. Dans le cadre de l’enquête de Cox, seule une personne de moins de 25 ans avait reconnu ce mot, ce qui démontre les avancées technologiques qui avaient eu lieu bien avant leur naissance. Notons que ce groupe aurait aujourd’hui à peu près la cinquantaine. Il est donc encore moins probable que ce mot soit reconnu par les jeunes de l’époque actuelle.

La Saskatchewan s’est rapidement urbanisée après la Deuxième Guerre mondiale. Cette période a également donné lieu à une culture de jeunesse avec de nouvelles façons de s’exprimer. Cette culture se renouvelle à chaque génération, ce qui nous laisse nous demander si un nouveau lexique serait en train d’émerger dans les paroles de notre jeunesse. Comment celui-ci impactera-t-il l’avenir de la langue française en Saskatchewan ? Voilà un sujet pour une prochaine chronique linguistique !

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