Journalisme versus communication : un rapport de force déséquilibré
L’idée que les médias sont contrôlés par le gouvernement est très ancrée dans certaines sphères. Pourtant, pour arriver à y croire, il faut ignorer le véritable rapport de force : au Canada, les agents de communication sont bien plus nombreux que les journalistes.
Selon le recensement de 2021, il y avait 6 275 journalistes au Canada en 2020. En comparaison, le pays comptait 83 420 professionnels et professionnelles en publicité, en markéting et en relations publiques. Soit un ratio de 13 spécialistes en communication pour 1 journaliste.
Il est normal qu’il y ait plus de gens qui travaillent en communication qu’en journalisme. La catégorie inclut une bien plus grande variété d’emplois et représente un plus grand éventail d’entreprises et d’agences.
Cependant, pendant que les d’information médias perdent des joueurs, les relations publiques grossissent à vue d’œil. Depuis le recensement de 2016, le nombre de journalistes a diminué de quelques centaines, alors que les effectifs en publicité, en markéting et en relations publiques ont bondi de près de 30 000 personnes.
Selon une étude de l’Institut de recherche et d’informations socioéconomiques (IRIS), le ratio était de 2 pour 1 en 1990 au Québec.
Asymétrie du baratin
Le déséquilibre s’accentue très rapidement, non seulement dans le nombre d’employés, mais aussi dans la nature du travail.
Comme le rappellent les chercheurs de l’IRIS : «Alors que les [journalistes] cherchent à rapporter les faits de la manière la plus objective et la plus équilibrée possible, les [relationnistes] diffusent de l’information formatée par des intérêts politiques ou économiques.»
Une équipe en communication peut avoir besoin de quelques heures pour développer un message.
Les journalistes, qu’ils soient seuls ou en équipe, auront besoin de bien plus de temps – et parfois plus d’un article – pour déterminer si le message est valide, s’il n’omet pas une partie de la réalité.
Ce déséquilibre à un nom : la loi de Brandolini, ou asymétrie du baratin. Celle-ci s’applique surtout aux fausses nouvelles, mais le principe fonctionne pour les demi-vérités : beaucoup plus de temps et d’énergie sont nécessaires pour corriger une mauvaise information que pour la produire.
Si 83 000 agents de communication produisent chacun une minute d’informations biaisées, combien de temps auront besoin 6 000 journalistes pour présenter tous les faits? Après cet exercice, qui a le plus de contrôle sur l’information?
Bombardement électoral
Il faut garder ce concept en tête quand on parcourt les réseaux sociaux. Surtout en campagne électorale. Derrière chaque parti politique, derrière chaque message, il y a une équipe de communication qui a pour mandat de vendre des idées et des slogans.
Pour cette raison, le travail journalistique pendant cette période est doublement important. Les annonces vont extrêmement vite, elles fusent de tous les côtés et elles sont présentées dans leur plus bel emballage.
Les journalistes les déballent, les démontent et décrivent la partie du message qui ne cadre pas entièrement avec la réalité, ou le morceau de casse-tête qui manque.
Pour un électeur, suivre une campagne électorale uniquement à partir des médias sociaux d’un parti politique ou de leurs communications officielles ouvre une porte vers un univers parallèle.
Malheureusement, au Canada, il faut faire un plus grand effort pour garder les deux pieds dans la réalité et accéder à du contenu non biaisé, puisque les médias sont absents de Facebook et Instagram. Sans oublier Twitter qui fait un X sur la vérité.
En voiture
Pour l’élection fédérale de 2025, les journalistes ne sont pas admis à bord de l’avion de campagne du Parti conservateur du Canada. Les conférences de presse et les évènements seront accessibles aux journalistes, mais les médias nationaux auront plus de difficulté à être sur le terrain pour poser des questions.
Les médias régionaux – incluant les journaux francophones en milieu minoritaire – joueront donc un rôle de premier plan dans la couverture électorale et dans le «déballage» des promesses. Ils seront mieux placés pour comparer les messages bien écrits de tous les partis politiques aux réalités sur le terrain.
Gardez donc un œil sur leurs pages.
50