Vingt ans pour soigner en français : le Réseau Santé célèbre deux décennies d’action
Vingt ans après sa création, le Réseau Santé en français de la Saskatchewan (RSFS) célèbre en 2025 deux décennies de plaidoyer et d’engagement pour que les francophones de la province puissent être soignés dans leur langue. Une lutte qui reste d’actualité.
Né en 2005 dans la foulée d’un mouvement national, le RSFS poursuit sa mission de rapprocher les communautés, les professionnels et les institutions de santé autour d’un même objectif.
« Le RSFS, c’est une initiative par la communauté, pour la communauté », résume Abdoulaye Yoh, président sortant du conseil d’administration.
Arrivé en Saskatchewan la même année que la fondation du Réseau, ce dernier a vu l’évolution du projet de l’intérieur.
« Ce n’est pas la majorité anglophone qui a pensé à nous. Ce sont les francophones qui ont imaginé, bâti, puis imposé des projets comme l’Accompagnement Santé. »
Des besoins toujours criants
Anne Leis, cofondatrice et première présidente du RSFS, rappelle que l’idée du Réseau a émergé d’un mouvement pancanadien orchestré par la Société Santé en français (SSF).
« Il y avait des disparités criantes en matière de santé. Un comité fédéral paritaire a été mis sur pied, et c’est dans cette dynamique que sont nés les réseaux provinciaux, dont celui de la Saskatchewan. »
Le programme Accompagnement Santé illustre bien la philosophie du RSFS : répondre à un besoin immédiat avec des moyens communautaires.
Le service permet ainsi à des francophones peu à l’aise en anglais d’être accompagnés lors de rendez-vous médicaux.
« En 2023, on a compté 72 accompagnements. En 2025, on a dépassé les 140 », indique Innocent Minega, directeur général du RSFS depuis septembre 2023.
« Ce bond témoigne de l’ampleur du besoin, mais aussi de notre capacité à mobiliser des bénévoles partout dans la province », renchérit le responsable.
Initialement dépourvu de financement gouvernemental, ce projet est aujourd’hui soutenu par la Direction des affaires francophones de la Saskatchewan.
« C’est un immense pas en avant, estime Abdoulaye Yoh, qui s’est battu pour sa reconnaissance. Quand j’ai présenté le projet à un député provincial, il était sidéré qu’une aussi belle idée vienne d’un groupe minoritaire. »
Une formule unique
Le RSFS s’inscrit dans un modèle inspiré de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) et partagé par les réseaux membres de la Société Santé en français.
Cinq piliers forment ainsi sa gouvernance : la communauté, les professionnels de santé, les institutions de formation, les établissements de santé et les autorités gouvernementales.
« Cette diversité d’acteurs autour de la table, c’est ce qui nous donne de la légitimité et de la force », souligne Anne Leis, directrice du département de Santé publique et d’épidémiologie de l’Université de la Saskatchewan.
Ce maillage s’est notamment concrétisé par la mise en place d’un baccalauréat bilingue en sciences infirmières, en partenariat avec l’Université de Regina et la Cité universitaire francophone.
« Ce programme est transformateur, affirme Abdoulaye Yoh. Il nous permet de former localement des professionnels capables d’offrir des soins en français. »
En tant que professeure, Anne Leis a piloté plusieurs recherches qui ont contribué à démontrer les effets néfastes d’une communication déficiente entre patients et soignants.
« Au départ, on se faisait rire au nez, mais des études ont montré que l’absence de soins en français menait à des erreurs de diagnostic, à des traitements mal compris et à une moindre qualité des soins », rapporte la chercheuse.
Même si la route est encore longue, ces données ont permis au Réseau d’enrichir son argumentaire auprès des décideurs.
« Notre défi aujourd’hui, c’est de continuer à convaincre que la santé linguistiquement adaptée n’est pas un luxe, mais une nécessité, renchérit Innocent Minega. On ne peut pas soigner efficacement sans comprendre la personne. »
Une présence indispensable
Au fil des ans, le RSFS a su maintenir le cap malgré les changements politiques, le sous-financement chronique et les contraintes relatives à la dispersion de sa population cible.
« Chaque fois qu’un nouveau gouvernement arrive, il faut réexpliquer, recommencer, refaire de la pédagogie, déplore le président sortant. Mais on tient bon, grâce à la patience, à la persévérance et à la pertinence de notre mission. »
Par exemple, le programme bilingue Départ Santé, qui vise à accroître l’activité physique et la saine alimentation en petite enfance, a permis au Réseau de bénéficier de longues années de financement fédéral via l’Agence de la santé publique du Canada. Des millions de dollars qui ont permis de donner un élan à l’organisme sur la durée.
Plus récemment, la pandémie de COVID-19 a mis en lumière le rôle crucial du RSFS dans le soutien aux communautés, notamment avec la ligne d’écoute empathique Tel-Aide.
« La santé, ce n’est pas que les soins. C’est aussi le lien social, l’information, l’accompagnement dans l’isolement », rappelle Abdoulaye Yoh.
En définitive, le directeur du RSFS, Innocent Minega, comme beaucoup d’autres parties prenantes, rêve du jour où « tout francophone pourra demander à être soigné en français sans que ce soit perçu comme un caprice ».
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