Il y a deux semaines, le commissaire aux langues officielles Raymond Théberge a posé un geste assez inusité : il a émis une déclaration publique sur un de ses rapports d’enquête. Dans ce cas-ci, il s’agissait du rapport préliminaire d’enquête sur l’entente entre le gouvernement fédéral et Netflix.
La déclaration était inusitée parce qu’habituellement, les rapports d’enquête produits par le commissaire à la suite de plaintes ne sont pas rendus publics. Clairement, M. Théberge avait quelque chose d’important à dire. Plus précisément, ceci :
« Il est important de comprendre que la décision récente de la Cour fédérale (…) a une incidence considérable sur l’interprétation de la partie VII de la Loi sur les langues officielles. Cela se reflète dans le cadre de mes activités, par exemple sur l’enquête visant Patrimoine canadien et l’entente d’investissement avec Netflix. C’est pourquoi j’ai décidé de porter cette décision en appel le 21 juin 2018. Et, pendant que l’appel est en cours, notre interprétation des obligations de la partie VII de la Loi s’aligne avec la décision de la Cour fédérale ».
Le commissaire réfère à un jugement rendu par la Cour fédérale en mai dernier, dans une cause intentée par la Fédération des francophones de la Colombie-Britannique (FFCB) contre Emploi et Développement social Canada. Essentiellement, la FFCB accusait EDSC de n’avoir pas pris de mesures positives pour empêcher que le transfert de la gestion des fonds en aide à l’emploi au gouvernement provincial n’ait pas d’impact négatif pour la communauté francophone (il y en a eu).
Où est le lien avec la déclaration du commissaire? Il est dans le rejet, par la Cour fédérale, de l’argument de la FFCB sur la question des mesures positives… et surtout, dans comment le juge a rejeté cet argument.
Depuis 2005, la partie VII de la Loi impose aux institutions fédérales l’obligation d’adopter des mesures positives pour appuyer le développement des minorités de langue officielle et favoriser leur épanouissement. En une décennie, il s’est fait un énorme travail auprès des institutions fédérales pour qu’elles comprennent mieux comment s’acquitter de cette obligation.
Puis, voici qu’un juge de la Cour fédérale, lisant mot pour mot le libellé de cette obligation, conclut qu’elle est essentiellement vague et peu contraignante. Pour le juge, l’obligation de mesures positives devait s’accompagner d’un règlement officiel dictant comment le faire. Puisqu’il n’y en a pas, de règlement, c’est un peu comme si le juge disait que cette obligation ne vaut pas le papier sur laquelle elle est écrite. Cela équivaut à jeter à la poubelle 13 ans d’interprétation de la partie VII, avec tous les principes et les lignes directrices qui ont été pondues depuis ce temps pour appuyer les institutions fédérales.
Aucune surprise, donc, que le commissaire (qui était d’ailleurs intervenant dans la cause) ait porté, avec la FFCB, appel de ce jugement désastreux.
Ce qui est surprenant, en revanche, c’est d’apprendre cinq mois plus tard que le commissaire a revu sa façon d’enquêter sur les plaintes déposées en vertu de la partie VII et s’est mis à appliquer systématiquement la nouvelle interprétation de la Cour fédérale. Conséquence : la plupart des plaintes sur la partie VII sont maintenant jugées non fondées.
On nous dira que le commissaire n’a pas le choix. Peut-être, mais il est tout de même regrettable que cette modification aux enquêtes du commissaire se soit faite discrètement, sans que la FCFA ou d’autres intervenants communautaires soient mis au courant – pourtant, lorsqu’on parle de mesures positives, c’est de nos communautés qu’il est question! Il y avait – et il demeure – une belle occasion pour le commissaire d’utiliser son pouvoir politique pour saisir tout ce qui bouge sur la Colline parlementaire de la situation intolérable dans laquelle il se trouve à la suite de ce jugement.
Il serait aussi bien que la ministre Mélanie Joly, pendant que le jugement est en appel, émette une directive à l’endroit de l’ensemble de l’appareil fédéral pour dire clairement que le gouvernement continue à s’attendre au plein respect des obligations de la partie VII de la Loi et que les outils développés à cet égard demeurent en vigueur. Notre président, Jean Johnson, en a d’ailleurs discuté avec elle pendant le Sommet de la Francophonie à Erevan (Arménie) la semaine dernière.
L’essentiel, c’est de faire quelque chose. Sinon, le message qu’on lance aux ministères et agences du gouvernement, avec le jugement et la nouvelle manière de mener des enquêtes sous la partie VII, c’est qu’ils peuvent oublier tout ce qu’on leur a dit au cours des 13 dernières années par rapport à la prise de mesures positives pour appuyer le développement des minorités de langue officielle.
Mais il y a plus : encore une fois, cette histoire démontre sans l’ombre d’un doute qu’il est grand temps de moderniser la Loi sur les langues officielles.
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