Médecins francophones : chronique d’une pénurie
Si la pénurie de médecins reste une préoccupation majeure pour l’ensemble de la population canadienne, elle l’est encore plus pour les francophones hors Québec. La situation ne semble pas près de s’améliorer, puisque les universités ne forment pas suffisamment de médecins.
Une étude de Santé Canada publiée en début d’année met en évidence un déficit actuel de près de 23 000 médecins de famille pour répondre aux besoins dans toutes les régions du pays.
Selon la présidente du Collège des médecins de famille du Canada (CMFC), la Dre Carrie Bernard, cette situation est encore plus critique pour les francophones en milieu minoritaire.
L’un des principaux défis réside dans la dispersion de ces communautés, souvent établies en milieu rural ou dans des régions éloignées. «Si vous êtes francophone et que vous vivez dans ces zones, les difficultés d’accès aux soins sont multipliées», souligne la médecin.
Un constat partagé par le directeur général de la Société Santé en français (SSF), Antoine Désilets : «Un francophone a nettement moins de chances de trouver un médecin qui parle sa langue qu’un anglophone. Ce jumelage repose plus sur la chance que sur une véritable organisation des services de santé.»
Des conséquences médicales
Cette difficulté d’accès à des soins dans sa langue a des répercussions directes sur leur qualité. Selon la Dre Carrie Bernard, des recherches menées par des chercheurs de l’Université Laurentienne de Sudbury, en Ontario, montrent que les résultats médicaux sont moins efficaces lorsque la langue du patient et celle du médecin ne correspondent pas.
«Une mauvaise communication peut entrainer des erreurs de diagnostic et des traitements inappropriés», explique-t-elle.
Au-delà des risques médicaux, l’absence d’un médecin parlant la langue du patient nuit à la relation de confiance, essentielle pour un suivi efficace. «Quand un patient ne peut pas s’exprimer dans sa langue maternelle avec son médecin, il est plus difficile d’établir une relation de confiance», ajoute la médecin.
Elle constate que face à cette situation, de nombreux patients sont laissés à eux-mêmes pour trouver des réponses à leurs questions.
«Environ 6,5 millions de Canadiens n’ont pas de prestataires de soins primaires et se tournent vers Internet pour trouver des solutions à leurs problèmes de santé», rappelle la présidente de l’Association médicale canadienne (AMC), Dre Joss Reimer. Ils risquent ainsi d’être exposés à des informations trompeuses ou erronées.
Manque de diplômés
D’après le rapport sur l’effectif en santé au Canada, le pays ne forme qu’environ 1500 nouveaux médecins par an. Un nombre bien inférieur aux besoins pour combler le manque rapidement.
Et pour les francophones encore, l’accès à une formation en médecine est plus limité.
Actuellement, peu d’institutions offrent un programme de médecine entièrement en français hors Québec. Seulement l’Université d’Ottawa et le Centre de formation médicale du Nouveau-Brunswick – un campus de l’Université de Sherbrooke à Moncton – en ont un.
Santé Canada confirme à Francopresse qu’un plan de formation mis en place en 2023 prévoit, sur 5 ans, 25 nouvelles places en médecine au Nouveau-Brunswick, 10 en Nouvelle-Écosse et 40 à l’Université d’Ottawa, dans le cadre d’une initiative de l’Association des collèges et universités de la francophonie canadienne (ACUFC)-Consortium national de formation en santé (CNFS).
«Ces places en médecine s’ajoutent à celles déjà financées par les provinces en question et que ces médecins sont, pour la plupart, bilingues (français et anglais)», précise Santé Canada.
Cependant, ces initiatives restent insuffisantes pour combler les besoins. «Ce manque de diversité géographique est problématique, car les médecins s’installent souvent là où ils ont étudié. Il est crucial que d’autres provinces développent des formations en médecine francophone», commente Dre Carrie Bernard.
Elle souligne également que l’École de médecine du Nord de l’Ontario (NOSM), à Sudbury, tente de répondre à ce défi en offrant, depuis 2022, un programme de 4 ans spécifiquement dédié aux francophones, avec une priorité d’admission et un apprentissage progressif en français.
«Toutefois, des défis persistent. L’école possède deux campus. À Sudbury, où la communauté francophone est bien implantée. À Thunder Bay, où les francophones sont moins nombreux, une immersion dans un environnement médical francophone est plus difficile», décrit-elle.
Par ailleurs, le système de santé n’est pas adapté aux besoins des francophones et pénalise aussi les professionnels.
«Dans certaines cliniques, un seul médecin francophone prend en charge tous les patients parlant français. Il doit aussi rédiger ses dossiers en anglais pour que ses collègues puissent les consulter. Cela alourdit considérablement leur charge de travail et génère une grande frustration», déplore la Dre Carrie Bernard.
Médecins francophones hors du Québec : où sont-ils?
Certaines autorités médicales, comme les collèges des médecins et chirurgiens de l’Alberta, de la Nouvelle-Écosse et de l’Ontario, proposent des outils de recherche en ligne permettant d’identifier les médecins qui parlent français. Cependant, cette solution reste imparfaite.
«L’exactitude de ces informations n’est pas toujours vérifiée. Certains médecins indiquent parler français, mais ne maitrisent que quelques mots», nuance la Dre Carrie Bernard.
Dans un rapport, Statistique Canada fait écho aux propos de la présidente de la CMFC. «Environ 60 % des omnipraticiens/omnipraticiennes et médecins en médecine familiale et des travailleurs sociaux/travailleuses sociales [du Nouveau-Brunswick] connaissaient le français. Cependant, une connaissance de la langue suffisante pour soutenir une conversation n’est pas équivalente à l’aisance requise pour prodiguer des services professionnels dans cette langue.»
Pour ce qui est de la proportion des médecins francophones, selon les données du recensement de 2021 de Statistique Canada, il y avait 1720 omnipraticiens/omnipraticiennes et médecins en médecine familiale «ayant le français comme première langue officielle parlée» dans l’ensemble du Canada, sans le Québec. Soit 200 de plus qu’en 2016.
La grande majorité se trouve en Ontario (825) et au Nouveau-Brunswick (490). Les autres provinces et territoires en partagent 385.
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