Trouver l’amour en français : «un effort de chaque instant»
Pas toujours facile de trouver une âme sœur francophone en contexte minoritaire au Canada. Si, pour certaines personnes, la langue de Molière est essentielle dans une relation amoureuse, pour d’autres, Shakespeare peut faire l’affaire.
«Je t’aime», «I love you», «Te quiero» : à la période de la Saint-Valentin, les déclarations d’amour ont particulièrement la cote. Mais dans quelle langue? Francopresse a choisi d’aller à la rencontre de francophones d’un océan à l’autre pour discuter de leur rapport à la langue quand il s’agit de trouver l’amour… et de le garder.
Peu importe la langue
Jaëlle a vécu plusieurs années en Ontario. Si cela ne la dérange pas de parler anglais à la maison, cette célibataire apprécie tout de même «un certain niveau de compréhension ou même d’effort», notamment pour que son partenaire puisse interagir avec sa famille.
Justine, elle, est aujourd’hui en couple avec un anglophone. «Je ne cherchais pas nécessairement quelqu’un de francophone», avoue la résidente de l’Île-du-Prince-Édouard. La personnalité de son partenaire comptait plus que le fait français pour la jeune femme.
Elle précise toutefois que «c’est important qu’il s’intéresse au moins à ma culture, […] de la même manière que moi ça m’intéresse d’entendre les choses avec lesquelles il a grandi. […] C’est agréable quand il essaye des fois de regarder des films en français, ou des choses comme ça.»
Pour Souhaël Bouallagui, en Nouvelle-Écosse, le fait que sa conjointe parle un idiome différent du sien constitue un véritable «attrait». Il a rencontré sa femme – une anglophone native de la province – en République tchèque, précisément lors d’un cours de français qu’il enseignait. Depuis, elle maitrise la langue de Molière. «C’est vraiment beau qu’elle parle français pour moi», sourit le quadragénaire.
Il tient néanmoins à ce que leur enfant apprenne le français. «C’était pas si important dans notre relation amoureuse, mais dans notre relation de famille, je trouve que c’est vraiment un ajout que, tous les deux, on soit bilingues et qu’on parle français et anglais pour que notre fils puisse grandir dans les deux langues.»
Toutefois, il admet que son rapport à la langue a changé depuis qu’il vit en contexte minoritaire. «L’aspect culturel de la langue est devenu plus important, parce qu’avant, c’était vraiment presque uniquement un outil de communication.»
Pas facile de vivre l’amour en français
En Colombie-Britannique, Donatien aimerait bien trouver la perle rare avec qui il pourrait entretenir une relation amoureuse en français. Mais, selon son expérience, il faut «fouiller» et investir beaucoup de temps sur les groupes de francophones en ligne, notamment sur Facebook. Difficile quand on a un emploi à temps plein, signale-t-il.
Et si, en plus, la personne en quête de l’amour en français cherche un ou une partenaire du même sexe, les choses se compliquent encore davantage.
«Être gay et francophone en Ontario, […] c’est rough. Et trouver un chum francophone en Ontario, c’est encore plus rough», lâche de son côté Philippe Rivière dans une de ses vidéos sur YouTube.
Basé à Ottawa, ce vidéaste de 23 ans est aujourd’hui en couple avec un anglophone bilingue, qui a appris le français en immersion, mais aussi dans leur couple. «J’ai été la source de beaucoup d’apprentissages pour lui en termes de francophonie», confie-t-il en entrevue avec Francopresse. «Maintenant, il va même citer les Têtes à claques!»
«C’est pas mal indispensable que la personne avec qui je partage ma vie parle le français, poursuit-il. Langue maternelle ou non, ça me dérange pas, ça fait pas de différence, tant qu’on peut communiquer dans la langue […] Je veux que ce soit égal, une relation donnant-donnant.»
Car maintenir le français au sein d’un couple exogame demeure un effort de chaque instant, insiste-t-il. «Ça me tente pas de m’assimiler. Donc des fois, ça va être nécessaire de mettre ton pied à terre et dire : “Ok, c’est le temps qu’on laisse le français shiner un petit peu.”»
Le français sinon rien
Le franco-ontarien Didier Pilon va encore plus loin. Pour ce père célibataire de 39 ans, le français n’est pas une option, c’est «primordial» : «Il n’est pas question d’introduire l’anglais à la maison.»
«Cela complique grandement les rencontres, car il est difficile de trouver une partenaire francophone qui partage cette vision dans un milieu où l’anglais est omniprésent.»
Le Nord-Est de l’Ontario, où il réside, est la région de la province qui compte le taux le plus élevé de familles exogames, soit 85 %. Des chiffres inquiétants pour le francophone, qui espère que la transmission de la langue française aux prochaines générations ne se perdra pas.
«Je rencontre plusieurs personnes qui ont fait leurs études en français et qui maintenant, adultes, ne parlent plus un seul mot de français, déplore-t-il. Et 99 % du temps, c’est qu’il y avait un parent anglophone et un parent francophone. Donc ils parlaient anglais à la maison.»
Même son de cloche du côté d’Annick, dans le sud de l’Ontario : «Je me démène pour trouver des services francophones dans la communauté et créer des opportunités de jeux pour mon enfant en français. Je ne peux envisager d’inclure de l’anglais dans notre quotidien.»
«Mes tripes, mon identité»
Pour l’Acadienne Maryse aussi, avoir un conjoint francophone est essentiel : «Parce que le français fait partie de mes tripes, de mon identité.»
«Il y en a qui diraient, dans un souper de famille où tout le monde parle en anglais : “C’est juste une langue.” Mais nous, on a failli la perdre, puis on n’est pas sorti du bois encore», commente celle qui vit en Nouvelle-Écosse, aux côtés de Robert, lui aussi francophone.
«Avoir un partenaire francophone, ça devient presque un acte de militantisme, parce que chaque couple exogame contribue, malgré lui, à l’effritement du français», soutient Didier Pilon.
À ses yeux, on ne parle pas assez d’amour quand on évoque le déclin de la langue.
«On va parler des infrastructures, de l’anglais à l’école, des services de santé… Mais plus que n’importe quelle décision du gouvernement, c’est chaque individu qui a le pouvoir de transmettre le français en trouvant un partenaire francophone. C’est un pouvoir qu’on n’utilise pas, qu’on a abandonné», s’attriste-t-il.
«On se connait déjà tous»
Même s’il participe activement aux évènements francophones, Didier Pilon admet que cela reste une «petite communauté» autour de lui. «On se connait déjà tous et puis on a déjà passé le stage “est-ce qu’il y a des possibilités”.»
«Sur l’Île-du-Prince-Édouard, c’est déjà compliqué de rencontrer quelqu’un. Alors, si j’avais coché francophone, je pense que j’aurais effectivement eu plus de mal», observe pour sa part Justine.
«J’ai lancé l’appel à des cafés-jasette mensuels. Il y a toujours très peu de réponses à ce genre de truc malheureusement», déplore Annick en Ontario.
À quand un site de rencontres francophone?
Quant aux applications de rencontres, même si certaines personnes s’identifient comme francophones, elles sont parfois incapables d’écrire en français, regrette Didier Pilon. «J’imagine qu’une fois qu’on va se rencontrer, on va se parler en français. Et puis là, on se rencontre, et puis même chose, elles répondent en anglais.»
Annick a déjà vécu des situations semblables. «Lorsque j’affiche un profil en français indiquant clairement que je veux rencontrer d’autres francophones, je ne reçois que des réponses en anglais. Alors, j’abandonne […] Je suis déjà passé par la situation où on me dit : “J’aime le français et je veux l’apprendre!”, mais cela ne s’est jamais réalisé».
Robert a lui aussi écumé les sites de rencontres avant d’être en couple avec Maryse, non sans difficultés. «Je trouvais ça extrêmement frustrant que, dans les filtres, il n’y avait aucune façon de faire une recherche pour trouver une personne francophone.»
«Je me suis même dit : “Crime, il y aurait peut-être quelqu’un qui devrait commencer une plateforme formelle ou informelle de rencontres francophones pour les célibataires”», s’exclame le quinquagénaire.
«Si tu peux filtrer les gens par intérêt ou par sexe, pourquoi tu peux pas filtrer par langue?, interroge Philippe Rivière. S’il y a des gens, des développeurs d’applications de rencontres qui lisent cet article[-ci], s’il vous plait, pensez-y!» À bon entendeur.
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