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Article de l'Eau vive

La justice en français n’est pas à la hauteur des besoins

La justice en français n’est pas à la hauteur des besoins

La demande de justice en français s’accroit à l’extérieur du Québec, mais il manque de juges, de juristes et de personnel de soutien bilingues pour satisfaire les besoins. Et souvent les francophones en situation minoritaire ignorent qu’ils peuvent recevoir des services dans leur langue.

«Avec l’augmentation de l’immigration francophone à l’extérieur du Québec, la demande de justice en français est de plus en plus importante», affirme le directeur général de la Fédération des associations de juristes d’expression française de common law, Rénald Rémillard.

Les besoins des nouveaux arrivants et des nouvelles arrivantes qui maitrisent mal ou aucunement l’anglais exercent une pression toute nouvelle à laquelle l’appareil judiciaire ne parvient pas toujours à répondre, selon l’avocat.

«La langue demeure encore trop souvent une barrière à l’accès à la justice, confirme le professeur de droit à l’Université d’Ottawa, François Larocque. L’expérience des justiciables varie d’un bout à l’autre du pays. Plus on va à l’ouest, plus la situation est critique […], mais le problème demeure systémique.»

Sur le papier, l’article 530 du Code criminel prévoit que toute personne accusée d’une violation de la loi peut réclamer un procès dans l’une des deux langues officielles du Canada, à savoir le français et l’anglais, et qu’elle doit être informée de ce droit.

En ce qui a trait au droit de la famille, en vertu de modifications à la Loi sur le divorce adoptées en 2021, il devrait être possible de divorcer en français partout au Canada. Tous les gouvernements provinciaux et territoriaux n’ont cependant pas encore adopté les règlements nécessaires.

En décembre 2024, la Colombie-Britannique a permis l’utilisation des deux langues officielles dans des procédures de séparation. 

«Chaque province devrait avoir une capacité de bilinguisme suffisante pour traiter les requêtes en français. Les cours provinciales ont les mêmes obligations sur l’offre active que les cours fédérales», estime François Larocque.

«Un avocat ou un juge bilingue qui parle français, ça ne suffit pas»

En réalité, le degré de bilinguisme judiciaire diffère fortement d’une province à l’autre. Selon Rénald Rémillard, il est «le plus abouti» au Nouveau-Brunswick, au Manitoba et en Ontario et le «moins exhaustif» dans les autres provinces.

«Grâce à notre loi sur les langues officielles, nous avons des services juridiques en français plus avancés qu’ailleurs, confirme le vice-président de l’Association des juristes d’expression française du Nouveau-Brunswick, Denis Lavoie. Mais on ne peut pas s’assoir sur nos acquis. On pensait être secure et des enjeux sont remontés à la surface avec Blaine Higgs.»

L’avocat évoque notamment la fermeture par l’ancien gouvernement progressiste-conservateur de deux tribunaux dans la péninsule acadienne majoritairement francophone. 

La situation dans les territoires est légèrement différente, car ils ont été créés par le gouvernement fédéral. «Ils ont donc des obligations linguistiques imposées par Ottawa beaucoup plus importantes», détaille Rénald Rémillard.

Quelles que soient les disparités à l’échelle du pays, la pénurie de juges, de juristes, mais aussi de personnel de soutien bilingues est généralisée.

«Un avocat ou un juge bilingue qui parle français, ça ne suffit pas. Il y a tout un staff en arrière-plan qui doit aussi avoir des compétences juridiques en français», insiste la présidente de l’Association des juristes d’expression française de l’Ontario, Naaila Sangrar.

Il manque des greffiers, des interprètes, des shérifs, des médiateurs francophones dans les palais de justice, de même que des assistants capables de préparer les documents juridiques dans les cabinets d’avocats.

Offre active quasi «inexistante»

L’offre active de services en français est de ce fait quasi «inexistante» dans les tribunaux et les salles d’audience, rapporte le directeur général de l’Association des juristes d’expression française du Manitoba, Tarik Daoudi.

«Quand un avocat se présente au tribunal et tente de déposer un dossier en français au comptoir, ce n’est pas évident. Il faut vouloir s’imposer comme francophone, revendiquer ses droits», déplore le responsable.

De la même manière, il dénonce une attente «de plusieurs heures» si un avocat sollicite une ordonnance en français auprès d’un juge, contre seulement quelques minutes si elle est rédigée en anglais.

«Si la personne bilingue n’est pas disponible pour prendre le dossier ou traiter une demande, c’est comme ça que les délais plus longs commencent», poursuit Naaila Sangrar.

François Larocque mentionne à cet égard une décision de 2024 de la Cour supérieure de l’Ontario ayant conclu à des «délais déraisonnables» en français en matière criminelle : «La cour a donc ordonné l’arrêt de la procédure à cause de l’incapacité systémique à fournir une justice dans les deux langues officielles.» 

Des progrès significatifs ont néanmoins été accomplis ces dernières années. Grâce à la modernisation de la Loi sur les langues officielles, le ou la ministre de la Justice et procureur général du Canada a l’obligation de tenir compte des besoins d’accès à la justice dans les deux langues officielles et de la pénurie de juges bilingues au moment de nommer les juges des cours provinciales supérieures.

«Il y a une approche plus intentionnelle pour pallier les déficiences systémiques», salue François Larocque.

Efforts de recrutement et de sensibilisation

«Les autorités prennent ça au sérieux, il y a des efforts de recrutement pour embaucher plus de personnes bilingues», appuie Tarik Daoudi. La juge en chef du Manitoba, Marianne Rivoalen, est notamment francophone.

Pour changer la donne, l’Université d’Ottawa a également lancé en 2016 un programme de Certification de common law en français. L’objectif est de permettre à des étudiants et des étudiantes des facultés de droit de l’Ouest canadien de suivre des cours de common law et d’acquérir les outils nécessaires pour offrir des services juridiques en français. Plus de 100 juristes ont déjà été formés.

Le nombre insuffisant de personnes bilingues dans le domaine de la justice n’est pas seul en cause. Trop souvent, les justiciables connaissent mal leurs droits linguistiques.

«Les francophones sont souvent réticents à réclamer, car le système judiciaire est punitif et conflictuel. C’est presque toujours une épreuve, analyse Rénald Rémillard. Ils veulent en sortir le plus vite possible pour limiter les couts et les délais.»

Les associations de juristes se mobilisent aux quatre coins du pays et organisent des ateliers de sensibilisation afin d’«expliquer aux francophones, et en particulier aux nouveaux arrivants, qu’ils ont le droit fondamental d’avoir des services en français à chaque étape d’une procédure», relève Tarik Daoudi.

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