Mur à la frontière mexicaine : des espèces en danger
Désert de Sonora près de Tucson en Arizona
Photo: Mélanie Jean
La construction d’un mur à la frontière entre les États-Unis et le Mexique fait les manchettes depuis plusieurs mois. Outre les aspects humains et économiques de la construction d’un mur entre deux nations, un mur coupant à travers un continent aura d’autres impacts dont on parle très peu.
Le mur proposé pourrait avoir des impacts catastrophiques sur de nombreuses espèces, selon un grand nombre d’experts scientifiques. La frontière entre les États-Unis et le Mexique comporte plusieurs écosystèmes délicats partageant deux biomes. Depuis plusieurs millions d’années, les animaux et les oiseaux effectuent des migrations et des déplacements fréquents à travers la frontière. Le mur proposé couperait en deux les déserts de Sonora et de Chihuahua, les montagnes, le delta du fleuve Colorado, et suivrait le cours du fleuve Rio Grande. En effet, dans cette région, la plupart des écosystèmes sont orientés Nord-Sud : écosystèmes côtiers, les montagnes, les hauts plateaux et les deux déserts. La région frontalière abrite une population variée de mammifères, d'oiseaux et de plantes, y compris le roadrunner américain, le couguar, le mouflon d’Amérique, le jaguar nord-américain (en voie de disparition), l'ocelot (la population du sud du Texas est estimée à seulement 50 animaux), l’ours noir, le cactus saguaro et le palmetto (palmier Sabal).
Il ne s’agit pas seulement de la présence d’une barrière physique, la construction d’un mur de 10-20 mètres de béton solide implique aussi une augmentation de l’activité humaine durant sa construction et pour le maintenir en bon état, la construction de routes, plus de machinerie lourde, des logements pour les travailleurs et des déchets. Il faut savoir qu’il existe déjà environ 1 000 km de barrières (murs, clôtures, et autres) à la frontière en Californie, en Arizona, au Nouveau-Mexique et au Texas. Ces barrières ont déjà des effets néfastes sur certaines espèces animales selon de nombreux chercheurs.
La construction de murs ou de barrières nuit aussi à un élément essentiel en conservation : la connectivité. Les animaux ne peuvent donc plus se déplacer entre divers habitats et ressources, et ne peuvent plus recoloniser des endroits d’où ils se sont éteints. Cela empêche également l’échange génétique, diminuant la diversité génétique au sein des espèces, ce qui peut rendre les animaux plus susceptibles aux maladies et moins aptes à s’adapter à de nouvelles conditions.
Les barrières humaines peuvent également perturber la pollinisation et perturber les bassins hydrographiques et les cours d'eau, entraînant parfois des inondations qui peuvent également détruire l'habitat. Cette liberté de mouvement est particulièrement importante dans un contexte de changement climatique. Le mur empêchera les espèces du Mexique de se déplacer vers le Nord en suivant le climat qui leur est plus favorable, ce qui ce qui les met en quelque sorte au pied du mur et à risque d’extinction.
On observe déjà des animaux en détresse le long des barrières présentes à l’heure actuelle. C’est plus particulièrement le cas des grands mammifères (tels que le lynx, le cougar, les jaguars, les cerfs, les ocelots) dont les mouvements quotidiens sont perturbés, mais aussi pour certains oiseaux, tels que le hibou pygmée et le roadrunner.
Selon les données du U.S. Fish and Wildlife Service, 111 espèces animales listées comme menacées et en voie de disparition aux États-Unis et au Mexique pourraient être affectées par le mur. La vallée du Rio Grande contient les deux dernières populations indigènes du Mexique de palmetto, une espèce de palmier emblématique de la Californie et de la Floride. La barrière présentement en place coupe à travers une zone de préservation établie afin de protéger les deux dernières populations mexicaines.
Pour plusieurs raisons de sécurité et géopolitiques, il est extrêmement difficile pour les scientifiques de travailler dans la zone frontalière entre les États-Unis et le Mexique. La bataille faisant actuellement rage entre immigrants illégaux, trafiquants de drogue et agents frontaliers cause déjà des dommages dans les parcs et les réserves naturelles ce qui rend le travail des officiers de conservation extrêmement risqué. Les sentiers empruntés par les contrebandiers et les déchets laissés partout sont aussi des problèmes.
Maintenant que le décret pour le début de la construction du mur a été signé, il sera important de travailler à mieux comprendre les écosystèmes de la région, par exemple en identifiant des régions plus sensibles dans lesquelles des passages fauniques devraient être installés. Certaines régions ont déjà été identifiées, telles que les côtes de la Californie et du Texas, et Madrean Sky Island Archipelago dans le sud-est de l’Arizona.
Cependant, dans une entrevue donnée au journal scientifique Nature, des gens impliqués dans des projets de conservation et de restauration, même dans les zones plus à risque de la région frontalière, maintiennent que la construction d’un mur n’est pas une solution. Selon eux, il est impératif de demeurer conscients que nos actions ont des impacts sur les écosystèmes et de penser à des solutions à long terme qui concilieront intérêts humains tout en préservant les écosystèmes et espèces animales et végétales uniques de cette région.
Pour en savoir plus : http://www.nature.com/news/2011/110802/full/news.2011.452.html